Michel Polnareff, le fou de musique, retrouve ses fans
Lorsque Paris s'éveille, Michel Polnareff est prêt à se coucher. Le chanteur, pianiste, compositeur, parolier et arrangeur continue de vivre à l'heure américaine, celle de la Californie, sa terre d'attache, quittée début février pour préparer sa rentrée sur scène. Elle se fera au Palais omnisports de Paris-Bercy avant un tour de France des grandes salles de type Zénith et autres Galaxie ou Dôme. Dix concerts du 2 au 14 mars à Paris, complets depuis des mois, dans la configuration maximum d'accueil de la salle - 17 000 personnes chaque soir - et sur la route jusqu'en juillet.
Polnareff à Bercy, trente-quatre ans après son dernier passage sur une scène française, c'est déjà un événement. Dix soirs c'est un méga-événement. Qui a d'abord laissé un peu incrédule. "Vous n'aviez pas jaugé l'importance du personnage Polnareff. Vous pensiez que je ne pouvais remplir qu'une Cigale ?" Il éclate de rire. "Si on est cartésien, il est normal de se poser des questions. Que peut donner un tel retour après une aussi longue absence ? Je n'ai pas été surpris du résultat. Grâce aux messages sur mon site Internet créé très tôt, à la fin des années 1990, j'ai perçu chez les fans une énorme envie de se retrouver. On aurait même pu ajouter des dates si Bercy avait été libre. Le truc vraiment exaspérant pour tout le monde - et d'abord pour moi, contrairement à ce qu'on peut croire, - c'étaient les faux bruits de retour, toujours annoncés par des tiers."
Détendu, à la fois timide et sûr de lui, les cheveux bouclés en cascade et les lunettes noires, aux verres format écran à plasma, monture blanche, Polnareff reçoit la presse au Plaza Athénée. Devant l'hôtel parisien, un connaisseur du milieu reconnaît quelques paparazzis. A la porte d'entrée de la chambre, il y a un garde du corps. Le créateur de Love Me, Please Love Me, de L'Amour avec toi, du Bal des Laze, d'On ira tous au paradis et récemment d'Ophélie flagrant des lits est une vraie star. Il en a tous les signes extérieurs. Parfois contraintes par des événements indépendants de sa volonté, ses disparitions-apparitions - à l'Olympia en 1972 elles étaient l'un des éléments d'un spectacle parmi les plus novateurs à l'époque - lui ont en plus donné une aura de mystère.
DES POINTURES DU GENRE
A ses côtés, Annie Fargue, qui depuis toujours s'assure que tout va bien pour lui - plusieurs disques de Polnareff lui sont dédiés. Et tout va bien. Surtout s'il s'agit de parler musique et musiciens. Polnareff, le fou de musique comme il le chante dans Né dans un ice-cream.
"J'aurais aimé être un grand guitariste. On veut toujours être autre chose que ce que l'on est. Par exemple Jimmy Page, de Led Zeppelin, qui a joué de la guitare acoustique 12 cordes sur La Poupée qui fait non, ou Jeff Beck, avec moi sur scène. Et tous ces gens du jazz, Jaco Pastorius, Lee Ritenour, Alex Acuna... attention le jazz avec du rock et du funk, celui de Los Angeles." Des pointures du genre de ceux qui seront à ses côtés. "Les plus grands. Par goût et puis parce que ceux-là on peut leur demander de se dépasser, de sortir quelque chose qu'ils ne se doutaient pas de pouvoir faire. Plus ils sont bons, plus c'est ce qu'ils attendent. J'adore."
Pour des études de musique classique, pour l'extrême soin apporté à ses compositions, à ses enregistrements, son attrait pour le dernier cri des technologies, à toutes les époques, Polnareff a vite été perçu comme un peu à part dans la chanson française. "Je cherche à faire entendre Hendrix et Wagner ensemble. Régulièrement on dit Polnareff grand musicien, Brel et Brassens, grands poètes. Mais on n'est pas que l'un ou l'autre. Trenet cumulait les deux, il était très en avance. Merci de remarquer chez moi l'importance du phrasé, du choix des mots comme une deuxième musique. James Taylor passe des mois à trouver le texte qui coulera bien sans oublier d'y mettre du sens. Avec moi, les coauteurs deviennent fous, je les fais recommencer dix fois."
A ses débuts, fin des années 1960, Polnareff tenait à reproduire exactement sur scène ses chansons. Puis il se fait à l'idée du tableau jamais sec. Une sorte de continuité conceptuelle comme chez Thelonious Monk, John Coltrane ou Frank Zappa revenant sans cesse sur leurs oeuvres pour les parfaire. Et il glisse que dans son spectacle ce sera tout le propos : "Me réapproprier, bousculer l'intouchable, donner une nouvelle vie." Encore un nom, celui de Todd Rundgren, un innovateur depuis quarante ans. "Je le connais bien. Il est fantastique." Les vrais artistes ne sont-ils pas ceux qui savent s'émerveiller sur leurs confrères ?
Sylvain Siclier