On parlait de lui avec Tom il y a quelues temps.
J'ai glané ça sur le net et j'ai trouvé cette interview RARE de 2004 passionnante. Fanny, tu devrais essayer de l'inviter un de ces jours (si ce n'est pas déjà fait)
Roger Mason le Retour:
"ça c'est le Blues Français"
English Version
J'ai glané ça sur le net et j'ai trouvé cette interview RARE de 2004 passionnante. Fanny, tu devrais essayer de l'inviter un de ces jours (si ce n'est pas déjà fait)
Roger Mason le Retour:
"ça c'est le Blues Français"
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LGDG : Bonjour, Roger Mason. C'est un grand plaisir pour moi d'entrer en contact avec vous par e-mail interposé. Il y a quelque temps, j'ai recherché des informations vous concernant sur Internet. A mon grand étonnement et c'est regrettable, je n'ai pas trouvé grand chose... Alors, quelle ne fut pas ma surprise quand votre fils, Jonathan, déjà croisé sur un forum cajun, m'a annoncé l'ouverture prochaine de votre site www.rogermasononline.com! Pourquoi avoir attendu si longtemps pour avoir un site? Cela nous annonce-t-il de bonnes nouvelles? Le retour de Roger Mason?!
Roger Mason : Je ne me suis plus produit sur scène depuis 20 ans, époque à laquelle j'ai commencé à enseigner. Après avoir vécu en France pendant 32 ans, je me suis installé aux Etats-Unis avec ma famille en 1996. Pour certaines raisons, pendant toute cette période, il y a eu une demande incessante du public pour mes disques. Au cours de l'été dernier, j'ai eu l'occasion de jouer avec mes amis de longue date Steve Waring, John Wright, Catherine Perrier, Tran Quang Hai, Bach Yen et Lionel Rocheman. Ceci m'a convaincu que la musique que nous interprétions il y a des années n'était peut-être pas si mauvaise ! Puisque chaque année, je reviens en France au mois de juin, j'ai décidé de tenter de jouer quelques concerts dans la région parisienne en 2004. Nous verrons bien comment cela sera perçu. Mes enfants, Daniel et Jonathan m'ont fait cadeau d'un site web. Vous pouvez les en remercier !
LGDG : Nous les en remercions ! Avant de nous parler de ces concerts à Paris prévus en 2004 (ça c'est une bonne nouvelle ! et un scoop !), pouvez-vous nous raconter votre arrivée en France ? Aujourd'hui, il y a une multitude de guitaristes qui jouent en finger-picking, mais vous-même, avec Steve Waring, avez littéralement fait découvrir ce style aux français avec votre disque "Guitares Américaines - Special Instrumental" enregistré en 1970. C'est quand même historique !
Roger Mason (1970) |
Roger Mason : Je suis arrivé des Etats-Unis à Paris en 1964 et presque immédiatement, j'ai commencé à jouer au Lionel Rocheman's Hootenany, à l'American Students and Artists Center et aux Catacombes de l'Eglise Américaine de Paris. Déjà, beaucoup d'Américains jouaient en finger picking, bien que la popularité de ce style ne soit pas encore parvenue en Europe. Il ne faut pas oublier qu'aux Etats-Unis, en 1970, les guitaristes noirs jouaient en finger picking depuis probablement 40 ou 50 ans. Cette façon de jouer n'est que la transposition du ragtime à la guitare. Blind Lemon Jefferson, Mance Lipscomb, Leadbelly, Gary Davis, pour n'en citer que quelques uns, jouaient de cette façon depuis très longtemps. Ensuite, dans les années 50, la famille Seeger a découvert Elizabeth Cotten et au début des années 60, tous les guitaristes et les chanteurs folk blancs des Etats-Unis savaient comment interpréter " Freight Train " en finger picking. Les enregistrements commerciaux des Farinas, de Joan Baez, Peter Paul and Mary et de Bob Dylan ont rendu le finger picking plus populaire encore. Alors, quand Steve et moi avons enregistré ce disque en 1970, nous n'avons fait que transmettre ce que d'autres nous avaient enseigné. Bien sûr, nous y avons aussi ajouté notre touche personnelle. Notre 33 tours vinyle de 1970 a été réédité sur CD en 1994 mais récemment, j'ai été déçu d'apprendre qu'il avait été retiré du marché. Mais de 1974 à 2004, ce n'est pas un si mauvais parcours.
LGDG : Il me semble pourtant avoir vu récemment ce CD chez Harmonia Mundi… Effectivement, le finger-picking était déjà " redécouvert " aux Etats-Unis depuis quelques années, mais en France, à part pour une poignée de passionnés par le blues d'avant-guerre (celle de 39-45 !) ou par la musique country, ça restait confidentiel. Quels musiciens avez-vous rencontré à cette époque, dans ces fameux Hootenanies ? D'ailleurs, pouvez-vous nous parler de ces Hootenanies, en quoi ça consistait ?
Roger Mason : Lionel Rocheman's Hoots, à l'American Center, débutèrent, je crois, en 1963. Je corresponds encore avec Lionel et je lui demanderai ce qu'il en est exactement. Je commençai à y participer au cours de l'automne de 1964. C'était ce qu'on pourrait appeler maintenant une scène ouverte. Chacun pouvait jouer n'importe quoi et personne ne s'en privait. De la chanson, des instrumentaux et même un peu de théâtre. Au début de la soirée, Lionel remplissait une liste et il nous faisait passer dans l'ordre qui lui semblait le plus approprié. Rares étaient les soirées peu intéressantes et le théâtre pouvait contenir dans les 500 personnes, si je me souviens bien. Il était souvent rempli.
Roger Mason, vers 1975 (photo Pierrot Mercier) |
beaucoup de chansons françaises et de pré-musiques du monde. A l'époque, Lionel chantait des chansons folkloriques françaises et je me souviens que Tran Van Khe, le musicologue vietnamien de renommée mondiale, y chanta un soir : il y interpréta une chanson d'Aristide Bruant ! Bien sûr, son fils, Tran Quang Hai deviendrait plus tard célèbre en France (on lui décerna la Légion d'Honneur) pour services rendus à la musique vietnamienne, pour son chant diphonique et, bien sûr, son jeu de guimbarde.
Parmi les interprètes de musiques du monde qui se produisaient
en ces lieux, je me souviens de Chemirami, un joueur de zarb iranien,
de Matt Samba, un batteur et danseur africain, d'Alan Stivell, le chanteur breton, joueur de harpe ainsi que d'autres interprètes européens comme Maurice Walsh, Christian Leroi Gour'han, Ben, et bien sûr John Wright et Catherine Perrier (qui fondèrent Le Bourdon, le premier club de folk français). Il y avait beaucoup d'amateurs français de musique folk Américaine, comme Phil Froment, Dominique Marousian, et The Bluegrass Connection. Et bien sûr, beaucoup d'Américains de passage à Paris et d'autres qui y résidaient : Sandy et Jeannie, Chris Smithers, Lynne Esterly, Steve Waring, Pat Woods et Kathy Lowe, Mary Rhoads, Stacey Phillips. Comme tu le sais, les années 60 furent une époque d'agitation sociale. Je ne me souviens pas si c'était au cours d'un hootenany, mais je me souviens avoir entendu l'Art Ensemble of Chicago jouer à l'American Center, entièrement costumés à la mode africaine. A cette époque, j'accompagnais Brigitte Fontaine. J'ai probablement oublié les noms de quelques personnes qui se sont produites aux Hoots, mais je demanderai à Lionel de compléter cette liste et t'en informerai. Je me souviens encore de deux personnes qui fréquentaient les Hootenanies : Joel Cohen, un joueur de luth qui est devenu directeur du célèbre Boston Camerata Early Music Consort. Et René Zosso, un joueur suisse de vielle à roue qui doit avoir été le premier en Europe à faire ressusciter ce vieil instrument. Zosso ressemblait au vieux sorcier des montagnes suisses. Il joua même de la vielle à roue dans une œuvre du célèbre compositeur allemand Karlheinz Stockhausen, pas du tout dans le registre folk, mais comme un précurseur des expériences actuelles de fusions entre musiques du monde et musique électronique. Il ne faut pas oublier que ceci se passait au milieu des années 60, il y a quelque quarante ans d'ici !
LGDG : Le disque " Guitares Américaines " est purement instrumental et puise dans le ragtime, le folk, le country-blues, les ballades, mais en 1971, vous sortez le disque "Le Blues de la Poisse"… Un disque de blues chanté en français, sans doute le premier ! Pouvez-vous nous en parler ?
Roger Mason: Et bien, c'est une tout autre histoire. Le Chant Du Monde m'a offert la chance d'enregistrer des chansons en solo et bien sûr, j'ai été ravi de cette opportunité. Sur ce disque, les talking blues étaient le fil conducteur. J'ai écrit Le Blues de la Poisse, une adaptation très libre du vieil air de l'Arkansas, Hard Luck Blues, de Lonnie Glossom. Même si mon français était relativement bon, j'ai été beaucoup aidé par un groupe d'amis qui venaient à la maison que j'habitais dans le 13ème arrondissement de Paris. Nous formions tous un grand cercle, assis à même le sol et chacun y allait du sien pour polir le texte en français. Je dois avouer que cette chanson était magique. Tout le monde semblait l'apprécier. Je récitais rapidement ces paroles burlesques, le visage impassible, à la manière de Buster Keaton. Et bien, Jean Christophe Averty, Philippe Bouvard, Claude Villers et José Artur, se sont tous emparé du disque et m'ont invité à la radio et à la télévision. Bouvard m'a convié à faire un Samedi Soir au Restaurant Maxim's et la chanson est devenue un grand succès. Pendant deux semaines, en 1974, j'ai été la vedette d'un festival folk à Bobino, j'ai assuré les premières parties de Pete Seeger et de Robert Charlebois à l'Olympia. Et tout ça grâce à cette chanson ! Il y avait aussi d'autres talking blues sur ce disque, mais aucun n'a eu autant de succès que Le Blues de la Poisse.
LGDG : En tout cas, ce disque vous a ouvert des portes, puisqu'en 1973 vous enregistrez " Blues From Over the Border " pour Barclay (avec notamment un certain Chris Lancry !) et " Le Pedleur ", à
nouveau pour le Chant du Monde.
Roger Mason: En réalité, c'était aux mois d'août et de septembre 1971. C'était un disque de blues enregistré avec un groupe qui cherchait le cacheton à cette époque à Montparnasse : Chris Lancry, un chanteur belge appelé Karel Bogard, et moi. Philippe Rault nous a entendus et nous a demandé d'enregistrer un disque dans les nouveaux studios du Château d'Hérouville. L'ingénieur du son était Dominique Blanc-Francard. Le grand chanteur de folk américain Derroll Adams était aussi présent sur cet album. Il chantait de sa voix basse et mesurée et jouait de son bajo à cinq cordes. Nous avons enregistré quelques blues de ma composition et une chanson cajun. J'ai essayé, avec Le Pedleur, de donner une impulsion à la musique cajun, mais j'ai bien peur que, dans un sens, ça ait été un échec. En 1970, j'avais déjà joué dans un groupe cajun appelé Grand'mère Funibus Folk dans lequel il y avait le regretté Christian Leroi Gour'han, Daniel Benhaïm et Croqui. Le Pedleur a essayé de poursuivre cette démarche en soulignant le lien entre le folk qui existait en France et un genre musical encore inconnu : le blues chanté en français où l'accordéon et le violon étaient rois. Malheureusement, je crois que le public a été désorienté par ce hippie aux longs cheveux (moi) qui jouait sur un accordéon minuscule et qui s'époumonait en lamentations. Cette musique était à cent lieues de Woody Guthrie, de Pete Seeger, de Bob Dylan et des " talking blues " et le public n'était pas prêt à franchir le pas. La musique Cajun, du moins la plupart de ce qui a été joué, est principalement de la musique de fête et de danse ; et jusque là, la plupart de la musique folk devait être écoutée, en concert, sur une chaise. Je pense réellement avoir aidé à faire connaître la musique
cajun en France, mais c'était moins avec l'enregistrement de cet album qu'en ayant aidé à organiser en France des tournées pour des artistes cajuns tels que Bessyl Duhon, Rufus Thibodeaux, Belton Richard, et les Frères Balfa.
Dernière édition par Admin le Jeu 01 Mai 2008, 3:17 pm, édité 2 fois